Discours de David Cormand au conseil fédéral
Nous vivons un temps de prise de conscience accélérée de la crise écologique. Je m’en félicite. A l’heure où les esprits sont enfin disponibles, c’est à nous de remettre en perspective les évènements de la période, de les ordonner dans l’analyse pour leur donner sens. Il nous faut révéler plusieurs impensés qui expliquent la crise que nous traversons.
Partons de loin. La révolution industrielle s’est construite sur l’impensé écologique. En conséquence, la force de production de la civilisation industrielle, dopée aux énergies fossiles a aussi été une force de destructions environnementales majeures. Aujourd’hui, l’alternative est clairement posée. Nous avons le choix entre l’effondrement écologique de notre civilisation ou la sortie organisée des énergies fossiles. Cette deuxième option implique de concentrer nos politiques publiques et nos comportements vers les économies d’énergies et la production d’énergie décentralisée issue du renouvelable. Face au cercle vicieux de la dépendance au carbone, nous devons initier un nouveau cycle vertueux de la sobriété énergétique et de la promotion des énergies renouvelables. Or nous n’arrivons pas à engager les changements nécessaires. Principalement parce que nous demeurons malheureusement prisonniers du mythe de la croissance infinie dans un monde fini.
Un jour, les historien·ne·s regarderont peut-être avec sidération les crimes insensés que notre civilisation aura commis pour la recherche de la croissance à tout prix : colonisation, soumission de peuples entiers au nom de l’accès aux matières premières, prédation de la nature, anéantissement de la biodiversité, dérèglement climatique, conflits armés, exploitation des femmes et des hommes. Nous avons relégué la protection du vivant loin derrière la recherche de la croissance.
L’urgence écologique nous ordonne de faire autrement. Nous n’avons pas le choix. C’est à la fois un impératif moral et une nécessité de survie.
Nous devons réassigner des objectifs sains à l’économie. Il n’y a d’économie que politique. Nous avons donc le droit, et même le devoir, en tant que citoyen·ne, de décider quelle économie nous voulons, au service de quelles valeurs et de quelles finalités. La question qui en découle est quelle société voulons-nous ? Quelles sont nos priorités ? Les profits de quelques-uns ou les conditions de vie du plus grand nombre ?
C’est, au fond, la question posée à la fois par le mouvement pour le climat et par le mouvement des gilets jaunes en des termes qui aujourd’hui peinent à converger mais qui doivent impérativement se rejoindre si nous voulons parvenir à conduire un changement de modèle.
Pour notre part, nous avançons sous la bannière de la sauvegarde du climat, en demandant une révolution de nos manières de produire et de consommer. Le gouvernement actuel continue à ne rien comprendre à la nécessité absolue d’agir radicalement. D’altermoiements en procrastination, le pouvoir en place est en train de rater la transition écologique. Pour une raison simple : il n’y a aucune volonté de ce gouvernement d’engager les changements profonds que la situation commande. Prisonnier d’une vision ou les enjeux écologiques sont secondaires, le gouvernement n’a pas compris que la transition écologique doit être cardinale. C’est-à-dire que l’ensemble des politiques publiques doivent être orientées en fonction de l’objectif de transition : les choix économiques, la politique sociale, les réformes institutionnelles, l’aménagement du territoire, la politique des transports, rien n’échappe au devoir de réorientation de notre modèle. Ni la programmation pluriannuelle de l’énergie ni le projet de loi mobilité ne répondent aux enjeux de la période. Quelle politique fiscale peut être efficace pour lutter contre la dégradation du climat ? Si le gouvernement s’était posé cette question, jamais il ne se serait retrouvé face à un mouvement de protestation tel que celui que nous vivons. Pour sortir de la crise née de la cécité sociale du gouvernement il faut se poser les bonnes questions.
Premièrement, il s’agit de se demander si les choix fiscaux du gouvernement permettent de gommer les effets inégalitaires d’une taxe carbone. Deuxième interrogation : le gouvernement utilise-t-il les recettes de la taxe carbone pour amplifier la transition écologique ? Troisième question : disposons-nous d’un système social efficace pour accompagner les ménages et entreprises les plus contraints face à la hausse des prix ? A ces trois questions, la réponse est négative. Voilà pourquoi nous sommes dans l’impasse.
Si le mouvement des gilets jaunes s’est cristallisé dans les profondeurs du pays, c’est que chacun voit bien que la politique du gouvernement est injuste. En l’occurrence, la fiscalité carbone pèse cinq fois plus sur le budget des 10 % les plus modestes que sur celui des 10 % les plus aisés.
Le mouvement des gilets jaunes est donc né d’une révolte contre l’injustice fiscale, pas d’un refus de l’écologie. Il provient aussi d’une source plus ancienne. Un impensé territorial.
Le mouvement des gilets jaunes a singulièrement fait ressortir une question territoriale qui ne se réduit pas à une conflictualité entre centralité et périphérie. La planification jacobine dans notre pays a conduit à un déménagement de notre territoire alors même que la promesse était son aménagement.
Un marché de dupes a été passé avec les Françaises et les Français : nous allons éloigner vos lieux de vie des lieux de travail, de commerce, de culture ; nous allons éloigner les services publics ; nous allons supprimer les voix de transport en commun comme les gares; mais votre autonomie sera garantie par votre automobile.
Il y a 45 ans, dans un texte fondateur, « l’idéologie de la bagnole », André Gorz, avait alerté sur les dangers et les illusions de la civilisation du tout voiture.
À droite comme à gauche, à travers des choix d’aménagement inconséquents, nos grands planificateurs ont œuvré depuis 50 ans à rendre les Françaises et les Français dépendant de leurs voitures. De plus, pour défendre l’industrie automobile nationale, ils les ont encouragés à choir le diesel. En réalité, nos technocrates se sont conduits comme des dealers en poussant à la consommation automobile, en rendant leurs clients dépendants de l’essence avant d’en augmenter le prix sans, bien entendu, donner les moyens de se sevrer.
Dans le même temps la métropolisation de la France, en concentrant les richesses, a eu pour effet de reléguer nombre de territoires hors de la carte mentale des gouvernants. Pour celles et ceux qui décident, ces territoires ne sont pas des territoires où l’on vit. Ce sont, au mieux, des territoires où l’on passe. Nous avons fait de pans entiers de nos terroirs des territoires invisibles et de ceux qui y vivent des intouchables. C’est ainsi que péri-urbains, habitants de la diagonale du vide, où habitants des quartiers populaires, de plus en plus de françaises et de françaises souffrent du même sentiment d’abandon.
On entend aujourd’hui la gauche classique tenter d’apporter des réponses au mouvement des gilets jaunes. Disons-le nettement : aucune réponse qui diffère la question de la taxation des énergies fossiles à son juste prix ne saurait constituer une solution. Ajouter une couche de démagogie à au mépris social affiché par ce gouvernement ne résoudra pas les questions de fond.
Nous ne demandons pas le report de la taxe carbone. Mais nous demandons une autre politique fiscale. La fiscalité doit être juste, redistributive et écologique.
Juste dans le sens ou les plus riches doivent contribuer fortement à l’effort de guerre que nous devons engager pour faire face à la crise écologique.
Redistributive parce que l’outil fiscal doit servir à lutter contre les inégalités.
Écologique par ce que la pollution doit être taxée, pour que la question environnementale soit enfin prise en compte.
Je dis à mes ami·e·s de gauche, ne retombez pas dans vos ornières du passé en disant on commence par le social et après on s’occupera de l’écologie. Vous faites fausse route, la question écologique est une question social déterminante. L’explosion des inégalités que produit une économie financiarisée, délocalisée et déshumanisée au service exclusif des premiers de cordées a fait du compromis fordiste une chimère.
Un nouveau compromis social doit se construire où la question écologique est pleinement prise en compte. La grande faute de la gauche traditionnelle qui depuis plus d’un siècle et demi est hégémonique dans ses différentes nuances idéologiques : communiste, socialiste, sociale-démocrate, sociale-libérale, éco-socialiste ou trotskyste, est d’avoir au fond considéré que le seul sujet social était la répartition des richesses. Mais la vérité est qu’en omettant de prendre pleinement en compte l’origine de ces richesses, ou de ces ressources ; les conséquences environnementales des moyens de productions ; l’utilité sociale des productions ou la prédation sur la nature qu’elles impliquent, elle a fait une concession décisive au capitalisme. Sans prise en compte de la question écologique, il ne peut pas y avoir de justice sociale. La question du climat le révèle tardivement mais cruellement aux yeux de tous et toutes.
Le mouvement des gilets jaunes est l’une des expressions de cette réalité : la vie est chère car une part de plus en plus importante de nos dépenses sont des dépenses contraintes, imposées. Et elles sont liées pour beaucoup à l’irruption du juste prix écologiques des choses dans nos dépenses. C’est pour cette raison qu’il n’y a pas d’issue sociale et solidaire heureuse sans écologie. Le seul chemin pour atteindre une réelle justice sociale ici, au Nord, et ailleurs, au Sud, est de pleinement apprendre à partager les ressources durablement accessibles, c’est à dire les ressources renouvelables. Il n’existe pas de résolution de l’équation sans pleinement comprendre la phrase célèbre de Gandhi: « Vivre simplement pour que les autres, simplement, puissent vivre ».
Certains persistent à faire des enjeux environnementaux une question secondaire. Parfois ce sont d’ailleurs les mêmes qui pensent qu’il faut, pour répondre à la question des classes populaire, délaisser des enjeux jugés par eux secondaires, comme la lutte pour les droits des minorités, ou la condition des femmes.
Je veux leur répondre ceci.
Les inégalités sont encore plus mordantes lorsque l’on est une femme. Le mouvement « #NousToutes » dont le succès a été important, tout comme la mobilisation importante des femmes dans le mouvement des gilets jaunes témoignent de cette injustice dans l’injustice. Les femmes sont en première ligne face à la vie chère car elles subissent plus souvent la précarité et les emplois partiels subis, elles sont moins payées que les hommes, et elles sont plus souvent que les hommes en situation de parent isolée. Cette réalité trop souvent invisibilisée ne peut être acceptée et doit être regardée en face. L’uniforme des gilets jaunes ne doit pas être le cache sexe des inégalités de genre.
Je voudrais indiquer ce qu’il est possible de réaliser maintenant, dans l’urgence, pour répondre à la mobilisation et à la colère qui s’exprime dans notre pays.
Si la fiscalité carbone doit être assumée, elle doit s’appliquer à l’ensemble des énergies fossiles. Concernant le rattrapage de la fiscalité du diesel sur celui de l’essence, celui-ci doit être assorti de mesures d’accompagnements sur des critères sociaux et géographiques. Les accords internationaux permettant d’exonérer de taxes le carburant des riches, le kérosène, et le carburant de la mondialisation, le fioul lourd, doivent être dénoncés et renégociés. En attendant, la taxe d’aéroport doit être doublée et les recettes fléchées vers les infrastructures de transport collectif dont prioritairement le train. L’ISF doit être pleinement rétablie avec un élargissement de l’assiette sur l’immobilier.
Ces recettes doivent être fléchées vers la rénovation thermiques des logements, à commencer par ceux des plus fragiles. Le CICE doit être supprimé. Les recettes obtenues devant être fléchées vers la transition énergétiques : efficacité énergétique et énergies renouvelables.
Nous proposons de légiférer pour stopper l’étalement urbain et l’artificialisation des sols. Nous proposons un moratoire sur toutes les nouvelles zones commerciales en périphérie ainsi que sur toutes les infrastructures autoroutières. La règlementation sur les constructeurs automobiles doit imposer des normes plus strictes en matière de consommation.
L’investissement doit être orientés vers les énergies renouvelables, cela implique d’imposer de désinvestissement carbone. En 10 ans, les pays du G20 ont doublé leurs subventions aux énergies fossiles, atteignant près de 150 milliards de dollars en 2016, l’année qui a suivi la COP21 de Paris…
Les investissements d’infrastructures doivent être concentrées en direction des infrastructures de transports collectifs ou de fret ferroviaire utiles. La liste des « grands projets inutiles et imposés » doit devenir la liste des « grands projets inutiles et enterrés ». Les services publics doivent être revalorisés et renforcés dans les territoires qui ont été abandonnés.
Face à l’enjeu de la vie chère, la question du SMIC ne peut être éludée. Nous ne pouvons plus accepter d’entendre parler de « coup de pouce » quand il s’agit juste d’aligner l’augmentation du SMIC sur l’augmentation du coût de la vie… Le SMIC net doit être revalorisé de 10 %. Quand on est une mère célibataire avec un enfant, le seuil de pauvreté est à un peu plus de 1 300 euros par mois. Cela signifie qu’une femme avec un enfant qui travaille à plein temps et est payée au SMIC est en dessous du seuil de pauvreté. Cette situation est inacceptable et doit donc être spécifiquement pris en compte.
Au-delà de ces mesures d’urgences, je formule le vœu que ce mouvement dit des gilets jaunes et celui qui combat le changement climatique convergent. Non pas dans une convergence des luttes, mais dans une convergence des buts.
La transition écologique ne se fera pas sans la création d’une nouvelle alliance politique et sociale. Nous autres devons reprendre le chantier de l’écologie populaire. Les élections européennes notamment, seront pour nous l’occasion de nous adresser à celles et ceux que la pseudo révolution macronienne a laissé sur le bord du chemin. Je leur dis « ne vous laissez pas berner ». Le problème n’est pas la transition écologique. Le problème c’est l’absence de solidarité et l’injustice d’un modèle qui tue la planète et écrase les femmes et les hommes. Le problème ce n’est pas l’Europe, mais la lâcheté des gouvernants qui se couchent face aux lobbies qui nous intoxiquent avec une alimentation nocive, des pesticides dangereux, ou des implants non contrôlés comme il se doit.
Notre démocratie est malade des lobbies.
Elle souffre aussi des faux prophètes qui, surgis de nulle part prétendent qu’ils vont tout régler par un coup de baguette magique. Emmanuel Macron en est la dernière incarnation, qui a prétendu se passer des corps intermédiaires. Notre conviction est que la démocratie a besoins de corps intermédiaires pour réguler les conflictualités qui existent dans toute société. La complexité du monde et les imbrications de ces conflictualités ne peuvent se résumer à un face à face organisé entre un peuple et son roi.
De ce point de vu, les propositions et les réflexions de Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, ouvre un chemin intéressant que le pouvoir en place aurait dû emprunter pour structurer les débats que soulèvent le mouvement des gilets jaunes. Ce mouvement lui-même demande une réorganisation démocratique de notre pays et découvre dans le même temps tous les débats liés à la légitimité de la parole collective.
Nous autres, écologistes devons nous réinventer pour être capables de construire l’alliance que j’appelle de mes vœux. Nous ne pouvons pas ne pas entendre l’appel de la société à des formes neuves. Mais nous ne devons pas davantage sacrifier à la tentation de l’instant. Je crois à la permanence. À la durée. À l’enracinement dans une histoire politique collective. L’hyper individualisme macroniste est d’abord né de l’idée fausse selon laquelle les déterminismes sociaux ne comptent guère et que tout est possible pour l’individu libre dans un monde sans appartenance et sans passé.
Nous ne sommes pas des enfants du vide. Nous ne venons pas de nulle part. Nous sommes issus dans l’histoire d’une lignée de femmes et d’hommes qui se sont battus pour construire une société de solidarité et de respect. Nous ne découvrons pas aujourd’hui la dimension tragique de l’écologie : nous avons payé le prix des larmes et parfois du sang pour faire émerger l’idée que la planète est précieuse et que la vie est fragile. Nous savons qu’on ne construit pas de réponse politique durable par la magie d’un clic.
Nos semelles sont usées par l’asphalte parcouru et nos rides parfois creusées par les nuits blanches et les matins précoces passés à préparer des actions contre les convois nucléaires, contre le tracé d’une autoroute ou pour la préservation d’un étang ou d’une poignée d’arbres qu’il fallait défendre contre la folie destructrice du cœur sec des déraisonnables qui prétendent nous gouverner.
Certes, nous ne sommes pas nés d’hier. Mais demain nous serons toujours là, loin de l’éclairage complaisant de médias prompts à mettre en lumière la dernière mode mais prompts aussi à retourner leurs caméras sur des nouveaux phénomènes. Nous sommes les écologistes, et nous en sommes fiers. »
David Cormand,
Secrétaire national
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