PALAIS DUCAL EN DANGER
L’incitation à la signature d’une convention de co financement du projet de rénovation du Palais ducal-Musée lorrain contient un texte éclairant sur les souhaits de la ville de Nancy : « Le projet (…) a pour ambition de transformer l’un des plus importants musées d’art et d’histoire de France en un ensemble patrimonial de dimension internationale… »
Si la rénovation du Musée lorrain est souhaitable, elle ne l’est pas quant à ses modalités, qui sont en contradiction avec la rénovation en question. Le choix de lancer un concours d’architectes sans consulter les historiens pour la construction d’un nouveau bâtiment est déjà contestable. Or, dans ce quartier historique du duché de Lorraine, le Palais ducal, l’église des Cordeliers, sa chapelle ducale et son couvent constituent un ensemble patrimonial tout à fait exceptionnel. Le projet retenu, avoué « le moins mauvais », montre que l’architecte et les élus n’ont pas tenu compte de cet aspect, ni de sa particularité architecturale et urbanistique qui font de ce lieu le cœur de la Ville Vieille. De même, la relation de cette partie de la Ville Vieille avec l’ensemble Emmanuel Héré n’a pas été pris en compte.
Pourtant les prescriptions de la Charte de Venise adoptées par la France sont explicites quant à la transformation d’un lieu historique ; elles ont pour but de protéger les espaces historiques remarquables.
Depuis la connaissance du projet, plusieurs pétitions ont vu le jour pour refuser la construction de ce parallélépipède de verre sérigraphié de dorure clinquante, tout à fait hétéroclite dans l’ensemble urbanistique, de la Ville Vieille – où la moindre modi fication de façade est soumise à de sévères exigences. On y a reconstitué les fenêtres à meneaux, abattu les garages du XXe siècle, pastiché des façades anciennes pour des HLM et imposé aux propriétaires jusqu’à la teinte des murs et des boiseries. Edi fier ce parallélépipède de verre reviendrait à y introduire une sorte de nouvelle annexe de la gare de Nancy.
Un long combat s’est donc engagé pour que cette réalisation-là ne voie pas le jour. Lors des élections municipales, la liste Nancy Ville Meilleure en avait fait un des thèmes de sa campagne, dénonçant aussi son coût démesurément élevé.
Pour édi fier cette verrière incongrue, il faudrait abattre les bâtiments et le mur séparant la cour du Palais ducal du jardin du Palais du Gouvernement, mais aussi les arbres centenaires qui s’y trouvent. Malgré la mobilisation des riverains et de l’association Avenir de Nancy dix neuf marronniers furent précipitamment sacri fiés. Pour rien, puisque grâce à une mobilisation citoyenne, le bâtiment des Petites Ecuries et le mur de Baligand ont été classés. Mais, depuis longtemps, pour des raisons d’ailleurs mensongères, les Nancéiens n’ont plus accès au jardin.
Que dire de tout ce bricolage incompétent, qui n’a pas tenu compte des contraintes impliquées par ce projet ?
Choisir que l’accueil se fasse par la petite rue Jacquot était déjà contestable, ce serait comme si l’on pénétrait par l’entrée de service. Ce qui l’est davantage encore, c’est que ce nouveau bâtiment ne servirait qu’à l’accueil et à la billetterie, et que, pour accéder aux œuvres exposées au Palais ducal-Musée lorrain et à l’église des Cordeliers, il faudrait utiliser un souterrain.
Or le sous-sol est fragile. Gorgé d’eau : on en trouve à quarante centimètres. Creuser des souterrains nécessiterait donc des travaux d’étanchéi fication lourds et, de plus, compromettrait la solidité des fondations du Palais ducal. Sans compter les coûts que de tels travaux
entraîneraient et les conséquences sur la vie des arbres du parc.
Sur le plan thermique, une façade de verre n’apporterait pas une isolation conséquente et demanderait un entretien constant. La toiture, quant à elle, prévue en sens inverse, l’eau de pluie ruisselant vers le centre, poserait le problème de son entretien, car la proximité des arbres du jardin ferait que les feuilles mortes s’y accumuleraient. De plus, la juxtaposition de cette verrière avec le bâtiment des Petites Ecuries choquerait considérablement.
Pourquoi ne pas envisager d’étendre le Musée historique dans le Palais du Gouvernement ? Y accueillir les visiteurs, qui arriveraient par la Carrière, donnerait une autre allure et une véritable ambition au projet de rénovation. Les salles du Palais serviraient pour les expositions temporaires. On en pro fiterait également pour s’occuper de la statuaire crasseuse des hémicycles, qui se délite, ainsi que des façades, qui en ont bien besoin.
Le bâtiment de l’ancienne gendarmerie pourrait être incorporé dans le projet, par exemple en remplaçant le mur clôturant le parc ainsi que le mur fermant la cour de l’église des Cordeliers par une grille. Tout cet espace demande en effet à être restructuré, a fin de donner une cohérence au parcours historique comprenant la Vieille Ville et l’ensemble Héré.
La muséographie envisagée, quant à elle, est déjà obsolète. Alors que la plupart des gens disposent d’Internet pour accéder aux œuvres, il est prévu d’installer à grands frais des équipements informatiques pour les regarder sur des écrans. Alors que si les gens visitent les musées, c’est pour voir les originaux.
Les pétitions contre ce projet ont réunis de nombreuses signatures, contrairement à la fausse consultation citoyenne demandant de choisir entre deux réalisations également contestables, qui a permis à la municipalité d’imposer l’architecte.
Compte tenu de toutes les contraintes évoquées, le coût de tous ces
travaux dépassera le budget prévu et endettera la ville pour de nombreuses années, ce qui empêchera tout autre projet. L’avenir d’une ville ne se réduit pas à des « coups » architecturaux et financiers.
« Les nations ont découvert qu’en architecture un chef d’oeuvre isolé risque d’être un chef d’oeuvre mort. Si Chartres et Versailles appartiennent aux plus beaux songes de l’Homme, cette cathédrale et ce palais, entourés de gratte-ciels, n’appartiendraient qu’à l’archéologie » (André Malraux, Ministre d’Etat – Ministre de la Culture – 4 août 1962) :
… Cette citation est extraite du document édité par la Commission locale du Secteur Sauvegardé du 14 octobre 2016.
le 28 octobre 2017
Claudie Picard